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Du Brésil au Vietnam, les pays émergents craignent une avalanche des importations venues de Chine

En surcapacité dans plusieurs secteurs, la Chine a augmenté ses exportations dans les pays du Sud. Pour protéger leurs économies, ils multiplient les barrières douanières face à Pékin.
Par Julien Bouissou
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Des tiges d’acier, dans un parc logistique de Huzhou, province du Zhejiang, en Chine, le 11 janvier 2024.
Des tiges d’acier, dans un parc logistique de Huzhou, province du Zhejiang, en Chine, le 11 janvier 2024. XIE SHANGGUO/VCG VIA GETTY IMAGES

La Chine, contre le reste du monde. Après l’Union européenne et les Etats-Unis, qui ont mis en place des barrières douanières contre l’importation de véhicules électriques chinois, c’est au tour des pays émergents de craindre un déferlement de produits en provenance de la deuxième puissance économique du monde. Un secteur en particulier cristallise leurs inquiétudes, celui de la sidérurgie.

Avec des chantiers de construction à l’arrêt, la Chine, dont la consommation d’acier représentait à elle seule près du quart de la demande mondiale, cherche à écouler ses stocks à l’étranger. En 2023, les prix ont chuté et les exportations chinoises d’acier ont augmenté de 33 %, conduisant le Chili, le Brésil et le Mexique à aussitôt relever leurs droits de douane. D’autres, à l’instar de l’Inde, des Philippines, du Vietnam ou encore de la Turquie ont lancé des enquêtes antidumping.

Le soja, autre secteur qui souffre de surproduction en Chine à cause d’une baisse de la consommation de porc, s’exporte aussi massivement. Sur les quatre premiers mois de l’année 2024, les quantités exportées ont atteint les 600 000 tonnes, en hausse de 500 % par rapport à la même période en 2023. « De nombreux secteurs sont en surcapacité, analyse Camille Boullenois, directrice associée au cabinet d’études Rhodium Group, et ce n’est pas forcément une bonne nouvelle pour les pays en développement qui exportent moins vers la Chine et subissent une baisse des cours mondiaux. »

Balance commerciale

Avec une consommation intérieure en berne, les exportations chinoises, mesurées en dollars, ont bondi de 7,6 % en mai par rapport au même mois en 2023, alors que les importations n’ont progressé que de 1,8 %. « Au sortir de la pandémie de Covid, la Chine a remis le turbo dans le développement de son industrie manufacturière pour prendre le relais d’un secteur de la construction en panne », explique Sébastien Jean, titulaire de la chaire Jean-Baptiste Say d’économie industrielle au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM).

Dans une note publiée en mai, la banque japonaise d’investissement Nomura constate que la relation commerciale entre la Chine et l’Asie « est en train de connaître un changement structurel », avec des exportations chinoises vers l’Asie en hausse et des importations qui diminuent. La balance commerciale des pays de la région vis-à-vis de Pékin ne cesse de se dégrader. Le déficit s’est creusé à 192,6 milliards de dollars en 2023 (180,44 milliards d’euros), alors que dix ans plus tôt, en 2013, l’excédent était de 24,5 milliards de dollars. Récemment, Ong Kian Ming, l’ancien ministre adjoint du commerce de Malaisie, s’est inquiété que les surcapacités industrielles de la Chine transforment le reste du monde en un « vaste dépotoir de [ses] produits ».

Trois raisons principales expliquent ce retournement de situation, selon les analystes de Nomura : la surcapacité industrielle de la Chine, une demande asiatique dynamique et la reconfiguration des chaînes de valeur. Depuis la montée des tensions entre Pékin et Washington, les entreprises chinoises relocalisent leurs usines dans des pays tiers, comme en Asie du Sud-Est, pour contourner les barrières douanières américaines.

Alors que les marchés occidentaux se ferment, « nous devrions envisager de nous tourner vers les pays en développement », déclarait mi-juin Huang Yiping, économiste à la banque centrale chinoise, suggérant même de leur proposer un « plan de développement vert du Sud global ».

Position dominante

En Afrique aussi, la vague des exportations chinoises ne cesse de monter. Quasiment inexistantes il y a trente ans, elles ont atteint les 164 milliards de dollars en 2022, se rapprochant des 187 milliards d’euros d’exportations européennes sur le continent. Mais l’Afrique enregistre avec la Chine, contrairement à l’Union européenne, un déficit commercial de 40 milliards de dollars. « Ce déficit pourrait être source de frictions à l’avenir, surtout s’il se creuse au même rythme que la production industrielle chinoise augmente », estime Alicia Garcia Herrero, l’économiste en chef de Natixis en Asie-Pacifique, qui ajoute au passage que « la percée de la Chine sur les exportations de produits à haute valeur technologique menace les positions européennes sur le continent ».

« Pendant longtemps, on a cru au modèle de développement en vol d’oies sauvages, où un pays en développement s’envole et monte en gamme en laissant la place à un autre, explique Sébastien Jean, du CNAM, mais la puissance de l’industrie manufacturière chinoise ne semble laisser aucune place aux autres pays. »

Cette position dominante risque de susciter des tensions au sein des pays du Sud global, dont Pékin se veut le porte-voix. Pour sa défense, le pays nie toute surcapacité industrielle, qu’il qualifie d’invention de l’Occident. Dans un éditorial publié le 16 janvier 2024, le quotidien nationaliste Global Times attire l’attention sur la part élevée des produits intermédiaires dans les exportations chinoises vers les dix pays de l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN), lesquels « permettent à l’industrie de se développer plutôt que de remplacer les produits fabriqués localement ». De fait, les pays de l’ASEAN importent trois fois plus de produits intermédiaires que de produits finis. Le quotidien rappelle enfin qu’« une partie des exportations vers l’Asie du Sud-Est sont en réalité destinées aux Etats-Unis ».

A entendre Pékin, l’expansion commerciale de la Chine ne se fait pas au détriment des pays émergents. Leur part dans les exportations mondiales est en effet passée de 19,8 % à 20,4 % entre 2019 et 2022.

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