«Je ne pense qu’à une chose, comment échapper à tout ça»: confiants en Vladimir Poutine, les Russes sont fatigués de la guerre
RÉCIT - Après un regain d’espoir suscité au début de l’année par le retour de Trump, la population a été largement regagnée par la lassitude face à la guerre en Ukraine et, au diapason du discours officiel, accuse fréquemment les Européens de faire obstacle à un accord.
Dans la grisaille désespérante de l’hiver russe, que n’éclairent même pas quelques arpents de neige, tout au moins à Moscou, le Nouvel An approche - ce sera le quatrième depuis le début de la guerre en Ukraine. Moment principal de fête et de respiration familiale pour une population qui suit sans illusion les palabres en cours, visant à mettre un terme à ce conflit que beaucoup préfèrent ne pas voir, même s’il est dans toutes les têtes et qu’il « mord » de plus en plus sur la vie quotidienne.
Dans les conversations, on discute ces jours-ci en Russie des nouvelles restrictions imposées pour l’obtention de visas par l’Union européenne. Même si moins de 40 % des Russes disposent d’un passeport « international » leur permettant de voyager à l’étranger. Beaucoup plus nombreux, en revanche, sont ceux qui s’inquiètent, en ce moment, de la menace imminente d’une fermeture totale de WhatsApp (déjà inutilisable pour converser à l’oral), messagerie pourtant massivement employée dans le pays, et que les autorités souhaitent voir remplacée par Max, réseau social plus aisément « contrôlable ».
Sentiments mêlés
Les sondages, pour autant qu’ils soient crédibles, témoignent de sentiments mêlés : une attitude de plus en plus favorable aux négociations de paix, même parmi les Russes les plus partisans de ce qu’ils appellent encore l’« Opération militaire spéciale » (SVO). Au début du conflit, la moitié des Russes souhaitait des pourparlers et un accord de paix ; ils sont aujourd’hui deux tiers dans cet état d’esprit, selon l’institut de sondages Levada, placé sur la liste des « agents de l’étranger ». La lassitude a fait son œuvre mais aussi la propagande officielle, Vladimir Poutine ne cessant depuis sa réélection, en 2024, de répéter, dans ses discours, la nécessité de négociations…
Fatigue de la guerre, donc, mais aussi perméabilité aux messages diffusés par les chaînes de télévision fédérales. On veut la fin de la guerre, mais en estimant que trouver une issue du conflit relève des prérogatives du gouvernement à qui, globalement, on fait confiance. Une écrasante majorité des Russes (84 %) continuent d’approuver l’action de Vladimir Poutine.
L’Europe, bête noire
« Oui, nous espérons une fin rapide de la SVO… mais à nos conditions », glisse cet homme d’affaires russe. Et même si le mot victoire n’est pas prononcé, comme le fait systématiquement le chef du Kremlin, l’idée est bien là : une défaite, pour les Russes, est inenvisageable. Quant à la poursuite de la guerre, elle est principalement imputée aux Européens, bêtes noires du discours officiel qui, à la longue, s’instille dans les esprits.
« Au début de l’année, avec le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, les sondages ont enregistré une hausse des attentes, le président américain était perçu comme l’homme qui mettrait fin à la guerre », analyse, pour Le Figaro, Denis Volkov, directeur de l’Institut Levada. « Mais ces espoirs ne se sont pas concrétisés ; beaucoup de discours sont restés sans résultats, de nouvelles sanctions internationales ont été imposées à la Russie et la déception est palpable », ajoute l’expert.
Je ne pense qu’à une chose : comment échapper à tout ça, comment faire pour que tout se termine plus tôt et que les gens arrêtent de mourir
Katya, jeune femme de Saint-Pétersbourg
À la mi 2025, pourtant, les opinions favorables à l’égard des États-Unis ont atteint parmi la population russe un niveau inégalé depuis 2014. Une perception positive vis-à-vis de l’Amérique, qui s’est dégradée ensuite - même si un tiers des Russes en conservent malgré tout une bonne image. En revanche, commente Denis Volkov, « c’est contre l’Europe que sont dirigées les opinions négatives ».
Il y a les réponses lissées des sondages, la sempiternelle prise de distance des Russes face à la guerre et leur repli systématique sur la vie quotidienne, comme pour se protéger. Mais il y a aussi les troubles que révèlent certains témoignages. « Je ne ressens qu’une solitude terrifiante. Je ne peux plus exprimer mes pensées à mes amis… Ils se sont éloignés ou sont tout simplement fatigués et ne veulent plus poursuivre la conversation. Et c’est dangereux aussi », explique, début novembre, Katya, jeune femme de Saint-Pétersbourg, dans une lettre au site Meduza, média internet russophone installé à Riga, en Lettonie. « Je ne peux pas partager mes pensées avec ma mère ni avec ma famille ; ils commencent à s’inquiéter ou à se disputer. Je ne pense qu’à une chose : comment échapper à tout ça, comment faire pour que tout se termine plus tôt et que les gens arrêtent de mourir », ajoute-t-elle.
Un contexte dépressif
« Peur et incertitude : voilà les sentiments qui m’habitent désormais constamment. Et ce, malgré le fait qu’aucun de mes proches n’ait été mobilisé et que nous vivions loin de la zone frontalière », livre, quant à elle, Vselyna, depuis sa ville de Kogalym, dans la région de Khanty-Mansiysk, en Sibérie occidentale. « L’abondance d’informations rend difficile la compréhension de la vérité, voire l’existence même d’une vérité. L’espoir d’une fin prochaine s’amenuise de plus en plus. Et dans quelle société vivrons-nous si cela prend fin un jour ? », témoigne-t-elle, également à Meduza. Elle explique qu’il lui est « impossible de rendre visite à (s)es parents, chez qui les chaînes de télévision fédérales diffusent en continu » et avec lesquels elle « ne discute plus ».
Dans ce contexte dépressif, l’attention portée par les Russes aux événements en Ukraine a fortement diminué au cours des six derniers mois - moins de la moitié des personnes sondées (49 %) suivent la situation de près, en recul de neuf points, surtout chez les jeunes de moins de vingt-cinq ans. Pourtant, Denis Volkov, directeur de Levada, n’exclut pas qu’avec l’intensification des négociations entre Russes et Américains se produise un regain d’intérêt au sein du public, « même si les fortes attentes qui prévalaient au début de l’année ne sont probablement plus de mise », dit-il.
La population russe a le sentiment que le conflit touche à sa fin, sans qu’elle puisse dire quand cette fin surviendra. La plupart pensent que la guerre durera encore un an, voire plus
Denis Volkov, directeur de l’institut de sondages Levada
Toutefois, relève ce fin observateur de la société russe, « nous commençons à voir de légers changements des humeurs, notamment une diminution de la proportion de ceux qui pensent que le pire est à venir ». Selon lui, « la population russe a le sentiment que le conflit touche à sa fin, sans qu’elle puisse dire quand cette fin surviendra. La plupart pensent que la guerre durera encore un an, voire plus ».
Dans les grandes villes, comme à Moscou, où le conflit a eu un moindre impact sur les habitants, le nombre de ceux qui ne sont pas favorables à des négociations apparaît moindre - même si la majorité est plutôt pour. En province, où la population a davantage payé le prix du sang, on se dit plus favorable aux pourparlers. Et pourtant, un tiers des Russes approuveraient qu’un membre de leur famille ou un proche signe un contrat pour partir au front… Une proportion en recul depuis deux ans, mais attestant d’une motivation financière qui persiste pour beaucoup.
La solitude des petits porteurs
Pour des raisons financières, Olga a, elle, ses raisons d’espérer la fin du conflit en Ukraine. Cette professeur de pilates de la région de Moscou, qui a toujours été hostile à l’invasion de l’Ukraine, fait partie des trois millions de « petits porteurs » russes dont les fonds sont gelés en Europe, du fait des sanctions occidentales qui ont frappé l’ensemble du marché boursier russe. Avant la guerre, la jeune femme avait vendu, pour l’équivalent en roubles de 120.000 euros, un appartement hérité de ses parents.
Des fonds qu’elle a placés, par l’intermédiaire de sa banque en actions et en obligations d’émetteurs étrangers - et désormais bloqués auprès des dépositaires européens Euroclear et Clearstream. Des montants atteignant au total 14 milliards de dollars (loin des 260 milliards de fonds souverains gelés) et qui concernent, pour près de la moitié, des placements inférieurs à 1200 dollars.
L’utilisation éventuelle, au profit de l’Ukraine, de ces actifs de petits investisseurs privés russes, n’a, à ce stade, pas été abordée à Bruxelles. Et Olga, là encore, est sans illusion sur la possibilité de revoir un jour son argent. Toutefois, pour elle, c’est sûr, il faut « la paix maintenant ».
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