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TikTok est « un des pires réseaux sociaux à l’assaut de notre jeunesse » : les mots très durs de la commission d’enquête parlementaire

A l’issue de six mois de travaux, la commission d’enquête parlementaire relative aux effets psychologiques de TikTok sur les mineurs a remis ses conclusions, et formulé 43 recommandations.
Par Morgane Tual
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Des adolescents et jeunes adultes, à Valence, en 2022.
Des adolescents et jeunes adultes, à Valence, en 2022. NICOLAS GUYONNET/HANS LUCAS VIA AFP

« Un des pires réseaux sociaux à l’assaut de notre jeunesse »« hors la loi »« multirécidiviste »« cancre »… Le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs, remis jeudi 11 septembre, n’a pas de mots assez durs pour qualifier les manquements de la plateforme.

Après avoir auditionné 178 experts, acteurs et témoins, et recueilli plus de 30 000 réponses dans le cadre d’une consultation citoyenne, la rapporteuse Laure Miller (Renaissance, Marne) dresse un constat accablant. « C’est une entreprise qui se fiche de la santé mentale de nos jeunes, déclare la députée au Monde. Ils ont beau dire, chez TikTok, qu’ils y attachent beaucoup d’importance, ils ne font pas les efforts qu’ils pourraient facilement faire. » *

Dans son avant-propos, le président de la commission, Arthur Delaporte (Parti socialiste, Calvados), abonde : « Le verdict est sans appel : cette plateforme expose en toute connaissance de cause nos enfants, nos jeunes, à des contenus toxiques, dangereux, addictifs. » Le député a d’ailleurs annoncé jeudi avoir saisi la procureure de la République de Paris pour « mise en danger de la vie » des utilisateurs de TikTok.

« Banalisation des violences »

La raison d’être de cette commission était notamment d’estimer les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs. Ils sont « dévastateurs », conclut ce long rapport, adopté à l’unanimité par les 28 membres de la commission. Ils sont pourtant difficiles à évaluer, reconnaît Laure Miller, car les études scientifiques manquent. « Les experts qui nous ont parlé disent que l’impact est dur à quantifier. En revanche, tous nous ont dit que de toute évidence, l’accès aux réseaux sociaux pouvait nourrir un mal-être. »

Ainsi, le « phénomène d’amplification de vulnérabilités psychologiques existantes semble être largement reconnu », peut-on lire dans le rapport. Quand TikTok expose, par exemple, les mineurs à des contenus liés à la dépression, au suicide, à l’automutilation ou aux troubles du comportement alimentaire. Mais l’utilisation de TikTok « ne se limite pas à accentuer des troubles psychiques existants : elle semble, à elle seule, en favoriser l’émergence », souligne le rapport, et « précipite le passage à l’acte ».

Les députés Arthur Delaporte (PS) et Laure Miller (Renaissance), à l’Assemblée nationale, à Paris, le 11 septembre 2025.
Les députés Arthur Delaporte (PS) et Laure Miller (Renaissance), à l’Assemblée nationale, à Paris, le 11 septembre 2025. BERTRAND GUAY/AFP

Les députés accusent également TikTok d’être un lieu de « banalisation des violences », où les jeunes peuvent accéder à des contenus racistes, antisémites, sexistes ou masculinistes. Et où, « vice dans le vice », la désinformation sur la santé mentale pullule. Les filles seraient « bien plus exposées aux effets négatifs » que les garçons. Le manque de sommeil découlant du temps passé en ligne est aussi vecteur d’anxiété, d’irritabilité, de déficits cognitifs et de difficultés d’apprentissage.

Si la commission salue « l’étonnante clairvoyance d’une partie des mineurs » sur le sujet, elle note que même les plus lucides peinent à se détacher de TikTok et qu’un usage « initialement raisonnable peut très rapidement glisser vers une consommation excessive, problématique et finalement dangereuse ».

Une modération « insuffisante, inégale et négligente »

C’est le fonctionnement même de l’application qui est mis en cause : « L’algorithme de recommandation de TikTok est conçu afin que soient mis en avant sur la plateforme les contenus les plus extrêmes et radicaux, toujours dans un souci de captation maximale de l’attention de l’utilisateur », dénonce la commission. La modération de TikTok est, quant à elle, jugée « insuffisante, inégale et négligente ». Les membres de la commission regrettent d’ailleurs de n’avoir obtenu aucune réponse concernant le budget alloué à la modération.

Un manque de transparence général fortement critiqué par les députés, comme Arthur Delaporte dans son avant-propos : « Nous avons auditionné pendant sept heures et trente-cinq minutes plusieurs dirigeants de la firme, qui se sont succédé dans un exercice de langue de bois et de déni. » D’autant que, estime le rapport, « TikTok a une connaissance ancienne et documentée des risques que la plateforme fait peser sur la santé mentale des mineurs », mais n’a « pas engagé d’actions suffisantes ».

L’entreprise a réagi vivement à ces accusations. « Nous rejetons catégoriquement la présentation trompeuse faite par la commission, qui cherche à faire de notre entreprise un bouc émissaire face à des enjeux qui concernent l’ensemble du secteur et de la société », a déclaré TikTok dans un communiqué transmis au Monde« TikTok mène depuis longtemps une politique exigeante en matière de sécurité et de protection de ses utilisateurs, avec plus de 70 fonctionnalités et paramètres spécifiquement conçus pour assurer la sécurité et le bien-être des adolescents et des familles sur notre plateforme. »

Désaccord sur l’interdiction aux moins de 15 ans

A l’issue de ses six mois de travaux, la rapporteuse a formulé 43 recommandations, ayant « vocation à s’appliquer à l’ensemble des réseaux sociaux ». La première d’entre elles consiste à en interdire l’accès aux moins de 15 ans. Un souhait partagé par Emmanuel Macron, mais qui ne fait pas l’unanimité au sein de la commission d’enquête : Arthur Delaporte estime dans son avant-propos que cela revient à « admettre que nous avons renoncé à réguler les géants du numérique »« Nous ferions d’abord reposer la charge de la responsabilité sur les jeunes plutôt que sur l’entreprise privée qui est à l’origine du problème : je ne peux m’y résoudre », écrit le député, qui questionne aussi le choix de l’âge de 15 ans.

« Je ne renonce pas à réguler, répond Laure Miller au MondeMais en attendant une meilleure régulation, qui se fait à l’échelle européenne, il faut, par principe de réalité et de précaution, en venir à l’interdiction aux moins de 15 ans. Si un jour on a des réseaux sociaux éthiques, on pourra la lever. »

La rapporteuse souhaite aussi réglementer les algorithmes des plateformes, en « imposant la diversification des contenus recommandés ainsi qu’une part obligatoire d’aléatoire ». Elle veut également les obliger à « lutter contre la propagande ou la publicité en faveur des moyens de se donner la mort », et prône une augmentation des moyens de l’Union européenne et de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) pour faire respecter les obligations auxquelles sont soumises les plateformes.

« Sensibilisation massive »

La députée estime qu’il faut mener des campagnes de « sensibilisation massive » pour informer les Français des risques, mais aussi prendre des dispositions pour limiter l’usage des jeunes : couvre-feu numérique pour les 15-18 ans de 22 heures à 8 heures, interdiction de l’utilisation du téléphone au lycée, réduction de l’usage du numérique dans le cadre scolaire au « strict minimum »… Elle envisage même de créer « un délit de négligence numérique afin de sanctionner les manquements graves de certains parents à leurs obligations de protection de la santé et de la sécurité de leurs enfants face aux outils numériques ».

Se pose désormais la question de la concrétisation de ces recommandations, dans un contexte politique très incertain. « C’est une problématique qui traversait la société avant cette crise politique et qui la traversera après », répond Laure Miller. « Notre Assemblée nationale est morcelée, mais s’il y a un sujet sur lequel droite, gauche, voire extrême droite et extrême gauche peuvent s’entendre, c’est bien celui-là, car il s’agit de protéger les plus jeunes, les plus vulnérables en ligne. Ça pourrait être un sujet que je suggérerais au nouveau premier ministre [Sébastien Lecornu], cela pourrait faire partie de sa feuille de route. »

Mise à jour le 11 septembre à 10 h 20 : ajout de la mention de la saisie de la procureure de la République de Paris par le député Arthur Delaporte.

Mise à jour le 11 septembre à 15 heures : ajout de la réaction de TikTok.

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