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Après l’assassinat de Charlie Kirk, l’administration Trump entre deuil et désir de vengeance
Les drapeaux américains sur les bâtiments publics n’ont pas été mis en berne simplement pour la forme. La Maison Blanche est secouée par la peine et le ressentiment. L’Ukraine, Gaza, les droits de douane ? Plus tard. L’assassinat, mercredi 10 septembre, de Charlie Kirk, 31 ans, figure conservatrice et patron de l’organisation Turning Point USA, sur le campus de l’université Utah Valley, a diffusé une onde de choc dans le pays.
Mais pour Donald Trump et son équipe de proches collaborateurs, Charlie Kirk était plus qu’un relais puissant. C’était la famille. Un allié, un ami. Un télévangéliste hors pair du trumpisme. Un héritier potentiel, aussi, pour le président des Etats-Unis, malgré son jeune âge, puisqu’il est démontré que les parcours classiques ne s’imposent plus.
A la Maison Blanche, la grande ordonnatrice du quotidien est la discrète Susie Wiles. Interrogée, jeudi, dans l’émission en ligne du commentateur conservateur Scott Jennings, la cheffe de l’administration a décrit une journée noire : « Tout le monde a été profondément bouleversé, et pour beaucoup d’entre nous, cela a ramené à la surface les souvenirs du 13 juillet [2024] à Butler avec le président. » Donald Trump avait alors échappé de peu à une tentative d’assassinat dans cette ville de Pennsylvanie.
Mercredi, sur le réseau X, une succession de messages empreints d’émotion a été rédigée par des conseillers. « Charlie Kirk allait devenir président », a assuré Alex Bruesewitz, homme pivot du dispositif numérique. Ce dernier explique qu’il avait 17 ans et Charlie Kirk deux de plus, lorsqu’ils se sont liés d’amitié. « Il y a quatre jours à peine, on partageait un repas en Corée du Sud, en revenant sur notre parcours », rapporte-t-il. Cet assassinat est un marqueur identitaire mais aussi générationnel dans le monde MAGA (« Make America Great Again »), surtout pour ce petit groupe de jeunes hommes blancs, parti de la frange populiste nationaliste jusqu’aux couloirs de la Maison Blanche.
Donald Trump Jr, dont Charlie Kirk fut brièvement l’assistant, avant de prendre son envol avec l’organisation Turning Point USA, parlait sur X de la perte d’un « petit frère ». « Il ne fait pas de doute que le travail de Charlie et sa voix ont permis à mon père de gagner la présidence. Il a changé la direction de cette nation. » En février 2021, Charlie Kirk avait rendu visite à Donald Trump dans sa résidence de Mar-a-Lago, en Floride, alors que l’ancien président était encore puissamment radioactif, quelques semaines après l’assaut de ses partisans sur le Capitole. Cette loyauté n’a jamais été oubliée par le milliardaire, très clanique, pas plus que son ardeur à dénoncer les fraudes imaginaires au cours du scrutin perdu face à Joe Biden.
Charlie Kirk, « une victime de guerre », pour Steve Bannon
Le commentaire le plus personnel, jeudi, a été publié par le vice-président J. D. Vance. Celui-ci s’est souvenu qu’en 2016, ni lui ni Charlie Kirk ne croyaient en Donald Trump, avant de reconnaître en lui le seul rempart contre le « mondialisme ». En 2021, lorsque J. D. Vance décida de se présenter au poste de sénateur dans l’Ohio, il demanda conseil au jeune militant conservateur. Ce dernier l’introduisit auprès de Don Jr, mais aussi des donateurs de Turning Point USA. Deux ans plus tard, Charlie Kirk plaidait en public et en privé pour que J. D. Vance devienne le colistier de Donald Trump. Il fut entendu.
« J’appartiens à pas mal de groupes de discussions [en ligne] avec Charlie et les gens qu’il m’a présentés au fil des ans, explique le vice-président. Nous célébrons les mariages et les bébés, on se taquine, on pleure la perte de personnes aimées. On parle de politique et de programmes et de sports et de la vie. Ces groupes de discussion incluent des personnes au plus haut niveau du gouvernement. » C’est par l’un de ces groupes que J. D. Vance a appris, écrit-il, la mort de son ami.
Ainsi se dessine cette hiérarchie informelle, à la fois horizontale et verticale, qui caractérise le pouvoir MAGA, dans lequel Charlie Kirk occupait une place essentielle et qu’irriguaient ses idées conservatrices sur Dieu, la famille, le racisme antiblanc, la menace « woke ». Très proche de lui, J. D. Vance a renoncé, jeudi, à un déplacement sur le site de Ground Zero à Manhattan, au mémorial du 11-Septembre. Il s’est rendu avec son épouse Usha à Salt Lake City (Utah) auprès d’Erika, la veuve de Charlie Kirk. Ils ont, ensemble, rapatrié le corps en Arizona.
Cette proximité quasi familiale explique en partie la réaction du président lui-même, peu coutumier des élans d’affection. Jeudi, la voix traînante et éraillée, Donald Trump a prononcé un discours au Pentagone à l’occasion de l’anniversaire des attentats du 11 septembre 2001. Visiblement marqué, il rendait hommage aux « héros américains » qui, en ce jour déjà lointain, affluèrent pour sauver les blessés dans les décombres.
Il était impossible de ne pas voir la superposition inouïe des événements, avec l’assassinat de Charlie Kirk, héros et martyr national pour la droite américaine, auquel Donald Trump compte remettre, à titre posthume, la médaille présidentielle de la liberté. Il ne s’agit nullement de comparer un attentat terroriste sans équivalent sur le sol américain, dont les déflagrations ont changé le monde, avec l’assassinat d’un cadre du mouvement MAGA, aussi populaire soit-il. Mais croire que ce crime n’est qu’une ligne dans l’histoire des violences politiques aux Etats-Unis, c’est ne pas comprendre l’importance du moment.
Pour le monde MAGA le plus ardent, l’assassinat de Charlie Kirk vient confirmer tous les préjugés sur la bataille culturelle et politique déchirant l’Amérique. Ce crime nourrit leur ressentiment, accentue leur haine de cet ennemi insaisissable et tentaculaire, qui prend différents noms : « Etat profond », « gauche radicale », « idéologie woke », « terrorisme trans », tous ces mots qui tournent en boucle sur les ondes trumpistes depuis des années. Charlie Kirk « est une victime de guerre », a lancé Steve Bannon jeudi, dans son émission en ligne. L’expression de cette figure influente du monde MAGA reflète l’état d’esprit d’une partie des troupes.
Les Etats-Unis sont dévorés par une polarisation vénéneuse
Charlie Kirk lui-même parlait avec gourmandise de « guerre culturelle », mais contrairement à d’autres, à droite, il essayait sans relâche de convaincre ceux qui étaient en désaccord avec lui. « C’est une guerre », a écrit, jeudi, sur X, Tyler Bowyer, chef des opérations à Turning Point USA. « La gauche est une menace à la sécurité nationale », surenchérit l’influenceuse extrémiste Laura Loomer, qui a l’oreille du président.
Une majorité d’Américains, elle, bien moins passionnée par les luttes idéologiques, assiste avec horreur et désarroi à ce nouvel accès de violence dans la politique, alors que le pouvoir exécutif a étendu comme jamais son champ d’intervention. Voilà les Etats-Unis à une étape avancée – pas forcément ultime – dans la polarisation vénéneuse qui dévore le pays, aux effets démultipliés par les réseaux sociaux et les armes en libre circulation.
Donald Trump a enregistré une allocution vidéo très sombre et inhabituelle dans la soirée de mercredi, dans laquelle il disait que la victime représentait « le meilleur de l’Amérique ». Mais le président dessinait déjà la suite, peu soucieux d’unité nationale. Avant même de connaître le profil de l’assassin et ses motivations, il mettait en cause la « violence politique d’extrême gauche », en promettant de faire un sort à ses suppôts. Il citait ainsi « les organisations qui financent et soutiennent » – alors que rien ne suggère à ce stade des complicités dans l’assassinat – ainsi que « ceux qui s’en prennent à nos juges et aux représentants des forces de l’ordre. » Il s’agit certainement d’une référence aux manifestants qui s’opposent aux raids des agents d’ICE, traquant les clandestins dans les grandes villes.
La Maison Blanche met la dernière main à un vaste plan de lutte contre la violence intérieure, selon Susie Wiles, censé assurer la protection de « la liberté d’expression » et répondre au défi posé par les « groupes haineux ». L’acception qu’a le monde MAGA de la liberté d’expression est une route à voie unique, pavée de valeurs conservatrices. La déshumanisation et la caricature systématique des juges dits libéraux, des voix de gauche, des élus démocrates, des défenseurs de la diversité, des représentants des minorités sexuelles, relève d’une grammaire commune chez les trumpistes.
Y a-t-il en retour une détestation de militants progressistes contre Donald Trump et son mouvement ? Assurément. Mais ce que dessine l’administration est une croisade non circonscrite, sans ennemis clairement identifiés ni fin possible. « Pendant des années, a dit le président dans son allocution, ceux de la gauche radicale ont comparé les merveilleux Américains comme Charlie aux nazis et aux pires criminels et meurtriers de masse du monde. »
Stephen Miller, le chef adjoint de l’administration, a publié un long message, jeudi, traçant la feuille de route pour la droite. Il désigne un ennemi « à la soif de destruction intarissable », une idéologie « en guerre avec la famille et la nature », qui conduirait forcément à la violence. Le sort de la « civilisation » dépendrait de la capacité à défaire cette idéologie, écrit-il. Celui-ci évoquait certains commentaires se réjouissant de la mort de Charlie Kirk, « venant de ceux en position d’autorité institutionnelle – éducateurs, travailleurs sociaux, psychologues, fonctionnaires – se délectant dans l’infâme et le sinistre ».
Une des séquences les plus stupéfiantes depuis l’assassinat a été diffusée sur X par le secrétaire à la défense lui-même, Pete Hegseth : il y évoque Charlie Kirk devant un parterre de soldats en uniforme, puis conduit une prière à sa mémoire. Confusion totale des genres, symbole de la politisation de l’armée américaine, entraînée à ses dépens dans les affaires intérieures.
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