Débats
« Après la “guerre des Douze-Jours”, le peuple iranien se sent abandonné » « Après la “guerre des Douze-Jours”, le peuple iranien se sent abandonné »
Depuis le cessez-le-feu entre Téhéran et Tel-Aviv, le peuple iranien s’inquiète de la violence des mollahs qui s’abat sur lui, observe l’essayiste franco-iranienne *. Après les frappes israéliennes qui ont amené de la peur mais aussi de l’espoir, le ciel s’est aujourd’hui assombri.
LE FIGARO. - Comment le peuple iranien a-t-il réagi à l’offensive israélienne contre Téhéran ?
MONA JAFARIAN. - Quelle que soit l’opinion de chacun, la première réaction a bien sûr été la stupeur. Personne ne s’attendait à ce qu’une guerre ne survienne si rapidement car des négociations avec Donald Trump étaient en cours. Dans un second temps, outre les 10 % à 15 % qui soutiennent la République islamique et qui ont fait bloc derrière Khamenei, la majorité s’est retrouvée sur le fait que l’ennemi numéro un était bel et bien la République islamique, d’abord car la guerre était une conséquence directe de sa politique. Ils étaient donc apeurés - ils sont nombreux à m’avoir décrit le bruit des drones qui volent au-dessus de Téhéran -, mais il y avait en même temps la certitude que le régime prenait des coups comme il n’en avait jamais pris.
D’autant que la manière dont ont été menées les frappes a permis aux Iraniens de comprendre l’objectif des Israéliens : ils ont frappé les bassidjis, c’est-à-dire les forces de répression dans la rue, ceux qui massacrent les civils. Ils ont aussi attaqué les centres de surveillance du peuple et les renseignements. En clair, le peuple iranien a compris que l’attaque n’avait pas pour seul objectif d’anéantir la force nucléaire iranienne mais aussi d’ouvrir la voie au peuple. Les prisonniers politiques, les familles de victimes ou les jeunes qui ont perdu un bras ou un œil à cause de la République islamique se sont réjouis. On m’a écrit à plusieurs reprises : « Ils ont vengé le sang de mon fils. » Il faut bien avoir en tête que les Iraniens ont plus peur des mollahs que de la guerre : il faut imaginer ce que le régime leur a fait subir pour qu’il y ait une telle inversion des craintes…
Il y a pourtant eu des victimes iraniennes…
Il y a effectivement eu plus de 800 victimes, mais il s’agit surtout de personnalités du haut commandement de la République islamique, issues du centre de répression ou de la télévision de propagande. Nous pleurons bien sûr les près de 130 victimes civiles iraniennes, tués par ces frappes, mais nous pleurons aussi les milliers de victimes des répressions en 2019 ou encore de celles qui ont suivi la mort de Mahsa Amini. À chaque fois, le régime a tué, arrêté et torturé sans être véritablement ébranlé… Les Iraniens sont lucides quant à l’utilité malheureuse de ce qu’a fait Israël pour déstabiliser les mollahs.
Qu’ont-ils pensé par la suite de l’intervention américaine ?
Les frappes américaines ont créé davantage de crainte. Là où les Israéliens avaient essayé de prévenir, d’alerter, en demandant l’évacuation de certaines zones, les Américains ont, par la voix de leur président, demandé l’évacuation de Téhéran, soit une ville de 12 millions d’habitants, en quelques jours… Une telle demande a évidemment provoqué un mouvement de panique. D’autant que les frappes, qui ont visé les dispositifs nucléaires, ont dans un premier temps suscité de vives inquiétudes. La population, à qui le pouvoir a coupé internet, s’interrogeait sur les dommages et les risques de radiation. Heureusement, on a ensuite appris par l’Agence internationale de l’énergie atomique qu’il n’y avait aucun danger ni aucune victime civile à déplorer.
L’Occident a-t-il compris l’enjeu, selon vous ?
Beaucoup d’Iraniens pro-régime ou des partisans de ce qu’on appelle « l’extrême gauche » iranienne, surtout en diaspora, sont profondément antisionistes. Eux ont déclaré à l’envi que ces attaques étaient catastrophiques. Ils se sont appuyés sur le nombre de morts en feignant de croire qu’il ne s’agissait pas de soutiens du régime qui avaient perdu la vie. Et beaucoup d’Occidentaux tombent dans le panneau.
Concernant les dirigeants, les Iraniens sont en colère.
Au lendemain des frappes israéliennes, les dirigeants européens ont commenté les images en brandissant immédiatement le « droit international » : où étaient tous ces commentateurs quand le peuple iranien était arrêté, torturé, violé ? L’Occident est beaucoup plus scandalisé par les frappes que le peuple iranien, qui, même traumatisé et terrorisé, adopte une forme de résilience. Ils n’ont pas voulu de cette guerre mais ils s’y retrouvent contraints par leur pouvoir.
Quant à Emmanuel Macron qui a déclaré que l’on n’imposait pas la démocratie à un peuple contre sa volonté… Comment peut-on si mal connaître le peuple iranien ? N’a-t-il pas assisté pendant des mois aux révoltes des Iraniens, au courage des jeunes qui ont pris tous les risques en allant dans la rue jusqu’à la mort ?
Les Iraniens ont-ils repris espoir ?
C’est très mitigé, ils sont encore sous le choc et font face, il faut le dire, à un sentiment d’abandon et d’incompréhension après l’arrêt soudain de la guerre. D’autant que Donald Trump a fait des allers-retours. Après avoir d’abord déclaré que lorsqu’un régime n’était pas capable de faire le bonheur de son peuple, il fallait le changer, il a tout arrêté en se félicitant à l’idée que l’Iran rende son pétrole à la Chine et que tout le monde puisse faire la paix.
Les Iraniens se sentent donc esseulés. Ils savent que leur régime a reçu une grosse leçon, mais ils savent aussi qu’ils sont dorénavant seuls face à lui, face à une répression terrible. Des milliers d’entre eux ont reçu des messages de menaces les convoquant au tribunal : on les harcèle pour qu’ils se désabonnent de pages hostiles au régime, de pages « sionistes », au risque d’être poursuivis pour « inimitié envers Dieu » et « trahison ». Depuis la fin de la guerre, il y a eu plusieurs pendaisons extrajudiciaires de personne à qui l’on a collé arbitrairement l’étiquette d’espion d’Israël ou d’agent du Mossad. Les arrestations vont se multiplier avec tous les check-points dans les rues. Le régime a tremblé car Israël a ouvert la voie à une révolte et tout un chacun sait que cela pourrait aboutir à une révolte sans précédent de la société civile. Il faut que l’Occident nous aide encore, et ne profite pas du fait que le nucléaire ne soit plus un problème pour détourner le regard.
* Mona Jafarian est cofondatrice de l’association Femme Azadi et auteur de « Mon combat » (Stock, 2025), qui raconte la lutte qu’elle mène depuis la mort de Mahsa Amini pour porter la voix du peuple iranien en France.

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