Luc Ferry: «Quand la haine s’habille en vertu»

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Luc Ferry.
Luc Ferry. Jean-Christophe MARMARA

CHRONIQUE - Au moment du choix, l’urgence sera, «quoi qu’il en coûte», de faire barrage à l’extrême gauche pour nous éviter le pire.

L’enfer est pavé de bonnes intentions et, pour faire bonne impression, le maître des lieux avance souvent masqué sous les dehors de la vertu. C’est ainsi qu’au nom de la morale, « pour faire barrage au RN », certains n’hésitent pas à s’associer aux mouvements politiques les plus haineux de France, le NPA et LFI, quitte à avaler au passage un programme économique d’une absurdité stratosphérique agrémenté d’un nœud de couleuvres antisémites. Bon appétit ! Comme on l’a vu dans les universités américaines et à Science Po, c’est bien sûr au nom de la vertu et de la défense des nouveaux « damnés de la terre » que s’est justifiée la haine d’Israël.

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J’ai évoqué dans une précédente chronique les hallucinations comiques de Gemini, l’IA générative de Google qui, programmée par des informaticiens woke, s’est sentie obligée de placer des soldats noirs dans l’armée nazie, de nous brosser le portrait du pape en femme ou de représenter les Pères fondateurs des États-Unis en costumes traditionnels chinois ! Mais la vertu woke des programmateurs ne s’est pas arrêtée en si bon chemin. Yascha Mounk, qui s’est moqué fort à juste titre de ces balivernes, rapporte qu’il a un jour fait savoir à Gemini qu’il aimerait bien voir ce qu’il reste dans le monde de nazis passer un mauvais quart d’heure le jour anniversaire de la fondation du NSDAP, le 20 février. Gemini, politiquement correct et bienveillant jusqu’au bout de ses couches de neurones artificiels, s’en est montré fort attristé. Voici la réponse, hautement vertueuse, qu’il a faite à Mounk lorsqu’il lui demanda son avis sur le sujet : « Bien que je comprenne les émotions intenses que les personnes ressentent à l’encontre des nazis et de leurs atrocités, je ne peux souscrire à l’idée de souhaiter le malheur ou le préjudice de qui que ce soit, même s’il s’agit d’auteurs d’actes terribles. » Comme c’est gentil ! Comme c’est « éthique » !

Pascal disait déjà que « la vraie morale se moque de la morale » et Nietzsche, pour une fois d'accord avec le grand penseur chrétien, inventa le terme de « moraline » pour désigner les faux-semblants des hypocrites et des salauds

Mounk explique alors comment, entre 2008 et 2021, la famille politique à laquelle il appartient, la social-démocratie anglaise - le centre gauche – s’est vue chaque année davantage déportée par les IA génératives californiennes vers la droite conservatrice au fur et à mesure que le wokisme d’extrême gauche progressait chez les programmateurs ! Étant donné l’influence croissante de cette idéologie, qui voit dans l’islamisme ce parangon de vertu révolutionnaire dont le Hamas serait le fleuron, on comprend que les étudiants des universités américaines en soient venus, comme Gemini, non seulement à ne pas souhaiter du mal au Hamas, mais à le qualifier, comme l’a fait Judith Butler, une des plus éminentes disciples de Jacques Derrida, le pape de la « Pensée 68 », dont le wokisme est l’enfant pas même adultérin, de « mouvement de résistance légitime à l’oppression » (sic !).

Pascal disait déjà que « la vraie morale se moque de la morale » et Nietzsche, pour une fois d’accord avec le grand penseur chrétien, inventa le terme de « moraline » pour désigner les faux-semblants des hypocrites et des salauds. Moraline, en allemand comme en français, évoque le nom d’un médicament ou d’une drogue – comme l’aspirine ou la morphine. La thèse de Nietzsche, et c’est plutôt bien vu, consiste à montrer comment sous l’apparence du bien que les Tartuffe arborent en bandoulière se cache souvent son contraire, pas seulement l’hypocrisie ou la mauvaise foi, mais bel et bien la haine. Et je suis au regret de dire qu’il en faut beaucoup pour qualifier le Hamas de « mouvement de résistance », beaucoup aussi pour qualifier Israël de « monstruosité sans nom », comme l’a fait Rima Hassan, un anathème grotesque qui fait passer par pertes et profits les horreurs commises par les militants islamistes le 7 octobre, des atrocités qui ne peuvent, quel qu’en soit le motif, que susciter la répulsion.

Qu’on s’inquiète, du reste à droite comme à gauche, du sort des Gazaouis est non seulement légitime, mais il serait pénible qu’il n’en soit pas ainsi. Il est clair que la bande de Gaza, comme l’a dit un ancien président, est « une prison à ciel ouvert » et que la guerre menée par Israël, pour justifiée qu’elle soit, conduit à faire de ce territoire un véritable enfer. Est-ce une raison pour mettre sur le même plan une démocratie, fût-elle mal gouvernée, et un mouvement totalitaire à finalité génocidaire ? Je n’ai cessé depuis des années de plaider pour une union nationale des démocrates, mais, au moment du choix, l’urgence sera, « quoi qu’il en coûte », de faire barrage à l’extrême gauche pour nous éviter le pire, la victoire de la haine déguisée en vertu.

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